ARTICLE DE LA CROIX & CROIRE mardi 21 avril 2020

Pourquoi Dieu ne m’exauce-t-il pas ?

   Il arrive à beaucoup de prier pour une guérison ou pour la réussite d’un examen… Pourquoi ne sommes-nous pas toujours exaucés ? Réponse du P. Luc Forestier.
Mains jointes sur une bible pour un temps de prière.

Sophie de Villeneuve : Un internaute de croire.com s’interroge sur la prière : « J’ai beaucoup prié mais je n’ai pas été exaucé. Alors qu’il est dit “Frappez et l’on vous ouvrira ”, pourquoi Dieu ne m’a-t-il pas entendu ? » Cette question, de nombreuses personnes se la posent…

L. F. : Toute personne qui expérimente la vie de prière se pose la question. Elle est d’ailleurs tellement profonde et juste qu’elle est présente dans les Ecritures. Les psaumes en particulier lancent ce cri à Dieu : « Mais que fais-tu ? » Et la tradition judéo-chrétienne a gardé ces interpellations, comme si la question angoissée, et même agressive, était totalement légitime parmi tout ce qui nous est donné pour nourrir notre relation à Dieu. C’est très frappant, car cela dépasse toutes les tentatives d’explication du mal, qui disent que s’il y a du mal et de la souffrance, c’est parce qu’il faut de l’obscur pour que la lumière soit vue… Les Ecritures sont pleines de cette interrogation angoissée : « Mais que fait Dieu ? »… D’autant que nous avons tous connu des personnes qui prient pour des causes particulièrement justes et authentiques : tel enfant malade, telle situation politique difficile… pour lesquelles on a beau prier, il ne se passe rien.

Et pourtant beaucoup de gens qui ont prié ont été exaucés. On peut soi-même avoir été exaucé pour telle demande, et ne pas l’avoir été pour telle autre.

L. F. : Je pense que le mot prière fait difficulté. En français, il évoque la relation qu’a l’homme avec une divinité, il est donc proprement religieux, mais il est aussi devenu un synonyme de « demander ». On oublie qu’en régime chrétien, la prière a deux dimensions assez différentes. Une dimension de relation, de dialogue, qui comprend, outre la demande, l’action de grâce et le pardon. Dans la messe on retrouve ces trois composantes de la prière qui s’adresse à Dieu : pardon, s’il te plaît et merci.

Vous avez l’impression qu’on oublie le pardon et l’action de grâce ?

L. F. : On oublie surtout l’autre dimension de la prière qui est la pure communion, qui ne passe pas par des mots. Elle est comparable à la relation amicale, qui après la parole échangée, se vit dans un silence qui n’est pas un silence de gêne où l’on ne sait plus quoi dire, mais qui est un silence de communion. La vie conjugale aussi est pleine de ces moments silencieux de présence à l’autre. Et ce qui est vrai de la relation amicale et conjugale est vrai aussi de la relation à Dieu. Plusieurs traditions spirituelles chrétiennes mettent en avant ce mode de présence à Dieu. Il est important de tenir ensemble ces deux dimensions de la prière. Dans la prière universelle, après chaque intention, on enchaîne avec un refrain. Je pense que c’est une erreur, et qu’avant de chanter, il faudrait faire silence quelques secondes et se mettre, tous ensemble, en présence du mystère de Dieu.

Le « cœur à cœur » avec Dieu, comme disent les spirituels, est une forme de prière que l’on a tendance à oublier, ou même qu’on ne connaît pas ?

L. F. : Qu’on risque de négliger, mais que l’on pratique tout de même encore. Tout temps de prière n’est pas uniquement un flot de paroles. Sans doute avons-nous déjà cette attention à la présence du mystère de Dieu, mais n’oublions pas que la prière, outre celle de demande, est aussi une demande de pardon, une reconnaissance de faute, et une action de grâce.

Certaines personnes disent n’avoir pas reçu ce qu’elle attendaient, mais avoir reçu autre chose. Cela arrive-t-il ? Cette « autre chose » est-elle aussi une réponse de Dieu ?

L. F. : Dans les Evangiles, on trouve les deux : « Demandez et vous recevrez », et « Demandez et vous recevrez l’Esprit saint ». Il faut comprendre qu’en Dieu, il y a à la foi amour et liberté. Il entre en relation avec l’humanité, il fait alliance avec nous, mais il respecte notre liberté. On peut même refuser son existence. Mais réciproquement notre relation à Dieu ne met jamais en cause la liberté divine. Dieu se donne à nous mais nous ne le contrôlons pas. Amour et liberté cohabitent en Dieu pleinement. Et nous-mêmes sommes à la foi invités à être à la fois dans l’amour et dans la liberté, dans notre relation à Dieu comme dans nos relations amicales et conjugales.

Et donc à respecter la liberté de Dieu qui peut décider de ne pas nous donner ce que nous voulons ?

L. F. : La liberté divine sera toujours respectée, nous ne sommes pas dans un système magique. La différence entre la religion et la magie, c’est que la magie est une manipulation du divin, elle prétend faire obéir les puissances à ce que nous faisons. Le christianisme est une relation d’amour et de liberté qui ne contraint pas Dieu, car ce n’est pas possible.

Que dire à Dieu quand on n’est pas exaucé ?

L. F. : Il est difficile de donner une réponse générale à une telle question. On peut y répondre à une personne, en face à face, quand on peut percevoir jusqu’où va son angoisse ou son incompréhension. Mais on peut dire qu’il faut garder à l’esprit cette liberté et cet amour qui cohabitent toujours intimement en Dieu et que, comme le dit l’oraison, « il sait mieux que nous ce dont nous avons besoin ».