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Que symbolisent les cendres ?

Dans la Bible, les cendres sont le signe qui exprime la tristesse de l’homme devant le malheur. «Me voici pareil à la poussière et à la cendre», crie Job après avoir tout perdu (Jb 30, 19) tandis que Tamar, fille de David, «répandit de la cendre sur sa tête» après avoir été violée (2S 13, 19). Se couvrir de cendre, voire se rouler dans la cendre, est donc logiquement devenu aussi le symbole du deuil : «Ô fille de mon peuple, revêts-toi de sac et roule-toi dans la cendre ! Prends le deuil», demande Jérémie à Jérusalem (Jr 6, 26).

Plus profondément, la cendre est indissociable de la poussière – les traducteurs grecs de la Bible emploient souvent un mot pour l’autre – renvoyant à celle d’où l’homme a été tiré avant que Dieu ne lui insuffle la vie. «Tu reprends leur souffle, ils expirent et retournent à leur poussière», chante ainsi le psalmiste (Ps 103, 29) alors que Dieu met en garde Adam : «Tu es poussière, et à la poussière tu retourneras» (Gn 3, 19).

La cendre symbolise ainsi le néant de l’homme devant l’absolue transcendance du Dieu qui se révèle à Moïse à travers un buisson ardent qui, lui, ne se consume pas. Elle est donc, logiquement, l’état auquel retourne le pécheur qui se détourne de Dieu. Ainsi l’idolâtre «qui se repaît de cendre» (Is 44,20) et dont le «cœur n’est que cendre» (Sg 15, 10). C’est aussi la cendre que les prophètes promettent aux pécheurs : «Sur la terre, je te réduis en cendre», prévient Ézékiel (Ez 28, 18) ; «les méchants (…) seront de la cendre sous la plante de vos pieds», annonce Malachie (Ml 3, 21). Par analogie, c’est donc en se couvrant la tête de cendre que les pécheurs reconnaissent leur état et deviennent des pénitents : le roi de Ninive après la prédication de Jonas «se couvrit d’une toile à sac, et s’assit sur la cendre» (Jon 3, 6).

Mais, pour la Bible, ce geste de pénitence anticipe aussi la victoire pour qui s’engage à faire confiance à Dieu. C’est le cas pour Judith qui, pour prier Dieu avant de combattre le Babylonien ­Holopherne, «répandit de la cendre sur sa tête et ne garda que le sac dont elle était vêtue» (Jdt 4, 11). D’ailleurs, pour Isaïe, le Messie se manifestera en venant «consoler tous ceux qui sont en deuil» et «mettre le diadème sur leur tête au lieu de la cendre» (Is 61, 3).

► D’où vient le mercredi des Cendres ?

Dans l’Église, la symbolique biblique des cendres s’est imposée très rapidement pour les pénitents qui, dès l’Antiquité, portaient le cilice et se couvraient la tête de cendres. Cette manifestation publique de pénitence n’avait toutefois pas encore la connotation liturgique qu’elle prendra plus tard.

Au début du VIe siècle, alors que le Carême s’est peu à peu mis en place, l’Église a en effet voulu que ce temps préparatoire à la fête de Pâques dure quarante jours. Comme les dimanches – marqués par la joie de la Résurrection – ne pouvaient être comptés dans cette période de pénitence, il a été décidé que l’entrée en Carême serait avancée au mercredi précédent le premier dimanche. À Rome, au VIIIe siècle, la première messe du Carême était célébrée par le pape dans la basilique Sainte-Sabine, après une procession sur la colline de l’Aventin, tradition qui a été conservée jusqu’à nos jours.

Au Haut Moyen Âge, lors de cette procession d’entrée en Carême, on chantait l’hymne Immutemur habitu in cinere et cilicio («Changeons de conduite, sous la cendre et le cilice»). «Dans les pays rhénans, au Xe siècle, on voulut donner une expression sensible au texte liturgique qui, à Rome, était pris au sens spirituel, en instituant le rituel de l’imposition des cendres», écrit le P. Pierre ­Jounel (1). Le mercredi des Cendres était né. Cet usage rhénan s’étend rapidement au reste de l’Europe. En 1091, le concile de Bénévent (sud de l’Italie) décrète ainsi que «le mercredi des Cendres, tous les clercs et laïcs, hommes et femmes, recevront les cendres». Au XIIe siècle, ce rite est attesté à Rome mais ce n’est qu’au siècle suivant que le pape lui-même se soumettra à cette démarche pénitentielle.

► Avec quoi fait-on les cendres ?

Traditionnellement, les cendres utilisées le mercredi ouvrant le Carême sont issues de l’incinération des branches bénies lors de la fête des Rameaux de l’année précédente. Un symbole fort pour le P. Sébastien Antoni, liturgiste et rédacteur à Croire.com, qui met en rapport la procession des Rameaux et celles des pénitents qui vont recevoir les cendres. «L’année dernière, à la fin du Carême, nous étions tous là pour fêter les Rameaux et dire au Christ que nous étions prêts à le suivre jusqu’à la croix, rappelle-t-il. Et puis ces rameaux que nous avons ramenés chez nous se sont desséchés, comme nos belles résolutions… Ils seront donc brûlés et serviront à marquer sur nos fronts l’entrée dans le temps de pénitence du Carême. Y aller en procession souligne d’ailleurs que ce n’est pas une démarche personnelle mais communautaire : c’est en peuple que nous marchons à la suite du Crucifié.»

Néanmoins, il ne s’agit pas de nous culpabiliser mais «de recevoir la possibilité de repartir, à nouveau, à la suite du Christ», explique le P. Antoni. C’est tout le sens d’une des deux paroles que le prêtre est invité à prononcer, au choix, lorsqu’il impose les cendres : «Convertis-toi et crois à l’Évangile» (l’autre étant «souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière»).

«Cette humiliation n’est pas autodestruction, mais prise de conscience de la juste valeur des réalités, souligne de son côté ­Xavier Accart (2). L’imposition des cendres sur le front est une bénédiction. Par elle, l’Esprit dessille notre œil intérieur qui est, selon le Christ, la lampe du corps (Mt 6, 22). Forts de son regard, nous distinguons derrière les apparences séduisantes des vanités humaines, le “monde de la poussière”, et revenons par conséquent de tout notre cœur vers ce royaume qui ne passe pas et est déjà présent au milieu de nous.»

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(1) Pierre Jounel, L’Année, in L’Église en prière d’Aimé-Georges Martimort (dir.), tome IV (La liturgie et le temps), éd. Desclée, 1983.
(2) Xavier Accart, Comprendre et vivre la liturgie : Signes et symboles expliqués à tous, Presses de la Renaissance, 306 p., 12,90 €.

Nicolas Senèze
La Croix